Analyse qualitative et quantitative 2016 pour l’Auvergne
Le 3 novembre 2016, à Clermont-Ferrand (63), l’ŒIL Auvergne -Observatoire Evolutif de l’Immobilier Local- et son Président, Nicolas Brossier, ont présenté une conférence sur le thème de la «dynamique néo-urbaine des espaces habités». Thierry Morel, sociologue urbain formateur-chercheur et Damien Quermonne, directeur de pôle chez Adequation, cabinet spécialisé auprès des acteurs de l’immobilier, ont abordé d’un point de vue quantitatif, mais aussi analytique, les flux de populations générant de nouveaux usages urbains, la création ou non de lien social, par le biais de la gestion de l’espace public, les conflits de territoire ou, encore, la mixité sociale.

ANALYSE QUANTITATIVE 2016 – Par Damien Quermonne*

Au 3e trimestre 2016, le rythme des ventes de logements au détail, sur le périmètre de l’OEIL Auvergne (CA Clermont-Communauté) s’est maintenu, au même niveau, que les 3 trimestres précédents, malgré la période estivale habituellement peu propice aux ventes. En cumulé sur les 3 premiers trimestres, le nombre de réservations atteint un niveau inédit depuis 2010. Cette situation n’est pas le fruit d’un effet d’aubaine, mais d’une croissance régulière du marché, ces 4 dernières années. L’équilibre des ventes entre propriétaires occupants et investisseurs, et le niveau modéré du stock (moins de 12 mois de vente, peu de stock physique), sont les gages d’un marché aux fondamentaux sains.

Le nombre de réservations nettes au détail s’élève à 146 au 3e trimestre, soit un niveau stable depuis le 4etrimestre 2015, et à 436 depuis le début de l’année, soit une hausse de +14% par rapport à la même période en 2015. Les ventes à investisseurs du 3e trimestre (75 unités) sont en baisse de -11% par rapport au 3e trimestre 2015 et représentent 51% des ventes. Cependant, depuis le début de l’année, leur volume a progressé de +6% par rapport à la même période en 2015. Les ventes à occupants progressent avec 204 réservations sur les 3 premiers trimestres (un record depuis la création de l’ŒIL Auvergne), soit une hausse de +26% par rapport à la même période en 2015. Les mises en vente (153 au 3e trimestre 2016) sont en hausse de +33% par rapport au 3e trimestre 2015. Depuis le début de l’année, le nombre de lancements commerciaux est légèrement supérieur (+3%) aux 9 premiers mois de 2015. L’offre disponible (563 lots) est stable depuis le 2e trimestre 2015. Le stock représente 11,5 mois de commercialisation (au rythme moyen des 12 derniers mois). Le stock physique représente seulement 8% de l’offre disponible. Le prix de vente moyen est en légère hausse : il s’établit à 3 128 €/m² (hors stationnement), contre 3 063 €/m² en moyenne sur 2015. *Damien Quermonne, Directeur de pôle chez Adequation, cabinet spécialisé auprès des acteurs de l’immobilier pour leur fournir outils stratégiques et opérationnels au plan marketing et commercial, a présenté les statistiques du 3ème trimestre 2016 ainsi que leur analyse, pour le marché de Clermont Communauté. www.adequation.fr

ANALYSE QUALITATIVE par ThierryMorel* « Avant de commencer cette intervention, je tiens à remercier l’Oeil de m’avoir invité sur cette thématique de l’urbain et des dynamiques urbaines, non pas en tant qu’acteur de l’immobilier, de concepteur et d’aménageur d’espace, mais bien en tant que sociologue. Ils ont pris un risque en donnant la parole à un sociologue, autrement dit, à une sorte de  martien  face à tous ces chiffres, à tous ces tableaux, à ces pourcentages, ces outils stratégiques. D’autant plus qu’on m’a toujours appris à me méfier des statistiques. J’avais un directeur de recherche qui disait que « les statistiques c’était comme la mini-jupe, ça donnait des idées mais ça cachait l’essentiel ».

Malgré tout je reste convaincu que si l’on veut analyser les transformations de l’espace urbain, nous sommes bien obligés de passer par la prise en compte des interactions entre les comportements individuels et les fonctionnements des marchés immobiliers.
Le travail que nous venons de voir, vise à présenter une réalité locale ; je vais m’intéresser à une autre mise en scène, à celle qui s’intéresse aux pratiques, aux usages, mais en les associant à l’action politique, aux logiques résidentielles.
Je ne suis que sociologue, qu’un simple observateur du monde sensible, observateur du quotidien, de tous ces petits riens qui définissent notre univers social. Je m’intéresse donc aux habitants, à ceux qui vivent dans un espace, à ceux qui y survivent parfois, mais aussi à ceux qui les traversent. Je m’interroge sur comment les habitants vivent la ville et comment ils la transforment. Leurs pratiques participent au marquage social des villes, des ambiances et des rythmes urbains.
Je prends les habitants au sérieux,  je les considère comme dotés de compétences, de projets, de capacités… Si j’insiste sur ces qualités, c’est que dans certains projets, ils sont encore trop souvent considérés comme des « idiots culturels » à qui il faut apprendre à habiter, à utiliser d’une manière conforme, l’espace, qui a été conçu pour tel usage, et rien que pour cet usage. Ou comme des acheteurs, c’est à dire à des personnes à qui on veut vendre des produits.
La sociologie urbaine nous apprend qu’il faut s’intéresser à deux figures indissociables de l’urbain: la figure de l’habitant et la figure du passant, qui en forme une troisième, celle du citadin, celui qui vit dans la cité, la ville. On ne peut pas envisager l’habitant sans ces trois dimensions, ce qui permet de situer le logement, ou plus largement, l’espace habité, dans son contexte spatial et surtout social. Notre fil conducteur, ce soir, sera donc celui de la production d’espace habité, mais cette fois du côté des habitants. Habiter, c’est s’approprier un espace de travail, animer un espace public, c’est entretenir des relations affectives fortes, fussent-elles invisibles ou muettes, à un lieu. Que dire, alors, lorsque l’espace, c’est la ville ! La ville : autant dire la société. En interrogeant l’interaction entre habitat et vie urbaine, c’est toute l’évolution de la société qui est observée. Il faut sans doute se pencher davantage sur les pratiques et les discours de ceux qui font la ville au quotidien afin de mieux comprendre ce qui perdure, ce qui change, ce qui résiste, ce qui est source d’évitements ou de tensions. Cette démarche permet en premier lieu de relativiser un certain nombre d’idées fausses, sur la mixité sociale par exemple, sur le mythe du quartier populaire et de ses habitants vu de loin comme conviviaux et solidaires. On oublie trop souvent les tensions et le contrôle social, au profit d’une image fantasmée de la ville et à travers elle de la société. Le mythique « quartier-village » qui est recherché et qui sert à convoquer ce mythe d’une société marquée par la diversité, l’absence de conflit, l’interconnaissance et la communication permanente. Une telle aspiration ne peut sans doute, que susciter déceptions ou désillusions.
Alors je vous propose quelques arrêts sur images, qui vont nous permettre d’interroger ces phénomènes urbains, ces dynamiques à l’œuvre qui dessinent des territoires, des espaces habités. On parlera d’espace public et de ses conflits d’usages, de mixité sociale et d’utopie, d’entre soi, le fameux NIMBY, (Not in My Back Yard), et de gentrification…
Je vais essayer de vous raconter des histoires de sociologue, de vous entraîner dans une flânerie urbaine à travers quelques parcours où les modes de vie, ceux du citadin, produisent de l’espace et produisent de la ville. Il n’y a pas que les concepteurs qui fabriquent de la ville, les habitants et les passants par leurs usages conçoivent eux-aussi de l’urbain.
Même les SDF qui se définissent pourtant par leur absence de lieu à habiter, fabriquent de la ville. Parler des SDF, de la marge, c’est réfléchir sur la norme qui définit l’altérité. A travers les transgressions des SDF, ce sont les usages normaux des espaces publics, privés et domestiques, qui sont explicités. Nous partageons le même espace. Nous cohabitons. La ville est construite par des acteurs, des producteurs d’espace, parmi lesquels les SDF. J’en veux pour preuve, le nombre d’espaces publics dans les centres villes conçus et pensés, non pas pour eux, mais pour empêcher leur occupation et leur présence. Et cela change les paysages urbains. Je vous propose un premier arrêt, une petite réflexion sur le mobilier urbain dissuasifs, ce qu’on appelle l’architecture préventionnelle qui est défini comme suit : « La prévention situationnelle recouvre l’ensemble des mesures d’urbanisme, d’architecture ou techniques visant à prévenir la commission d’actes délictueux ou à les rendre moins profitables ». L’objectif de cette architecture préventionnelle est de rendre par la transformation du mobilier urbain l’espace inappropriable à certains usages perçus comme non conformes. Les bancs prennent alors des formes incertaines, sièges, apparition des coques individuelles qui interdisent de se coucher et qui sont disposés dos à dos, comme s’il fallait surtout empêcher les gens de se parler, sièges miséricordes ne permettant plus l’assise traditionnelle. Pour noyer le poisson, les designers imagineront un nouveau concept : l’assis-debout. Petit tube qu’on voit sous les abribus. On ajoute aussi des accoudoirs interdisant de s’allonger comme de s’asseoir l’un contre l’autre. Banc en granit sans dossier pour rendre l’arrêt inconfortable… Sans parler des grilles qui protègent le moindre recoin appropriable. Et, nouveauté absolu, des piques anti-humain comme il existe des piques anti-pigeon pour éloigner ces volatiles et leurs déjections.
C’est tout l’enjeu de l’espace public aujourd’hui. Réussir à accueillir le public, tous les publics. Et c’est mon deuxième arrêt sur cette notion qui reste l’un des piliers de l’urbanité. L’espace public, par définition, c’est ça : l’espace du public, des publics. C’est le lieu pluriel par excellence, un lieu de brassage, de croisement, de côtoiement, de rencontre, de la foule et de l’anonymat… L’espace public permet d’organiser cette diversité. C’est l’anti territoire d’appartenance, l’anti communautaire par excellence. Ces lieux offrent une scène. C’est le rôle de socialisation de ces espaces.  C’est pourquoi ils sont sources de conflits, des conflits d’usages bien sûr. Le propre de l’espace public c’est de produire de la contestation sur le « bon usage », l’usage normal ou autorisé de l’espace. Un conflit de normes. C’est parce que ces espaces permettent la mixité, la co-présence et la rencontre avec l’Autre, l’Etranger, celui qui n’appartient pas au même monde, que des frictions apparaissent. La notion d’espace public présuppose ce droit de visite sur le territoire d’autrui.
La ville se protège aujourd’hui de ce qui l’a fait naitre. De la pluralité, de l’altérité, de ce gentil désordre, de cette agitation anarchique qui permet à tout un chacun de participer pleinement à ce monde, sans être marginalisé, exclu, banni, refoulé. D’autant plus qu’une des caractéristiques de notre société post-moderne c’est le bas seuil de tolérance envers les petites nuisances, les bruits, les animations nocturnes, le bruit des cloches, ou des coqs…Donc si l’on ne supporte plus rien, ou en tout cas de moins en moins de choses. On favorise le repli sur son territoire, on rejette l’indésirable et avec l’indésirable, on jette le désirable, l’idée même d’hospitalité, d’accueil. Autour de nous, l’agrément urbain diminue comme peau de chagrin. On est en plein dans une normalisation de l’espace public. Il y a une radicalisation à détruire le confort, l’accueil, dans l’espace public. L’espace de la rue devient d’une violence absolue, cela va beaucoup plus loin que la simple volonté d’expulser les indésirables. Cela touche au rapport du citoyen à l’espace public. Tout aménagement prévu pour mettre dehors l’indésirable finit un jour ou l’autre par nuire à tout le monde. L’interdit est la négation de la ville. La ville s’endurcit, et ne devient qu’une coexistence d’individus basée sur la méfiance. On perd la qualité fondamentale d’hospitalité de la ville. On touche ici un point important. C’est la question de l’hospitalité. Notion fondamentale à mes yeux. L’espace public présuppose un hôte, un accueillant, une offre de pause urbaine. Des villes ont parfaitement réussi ce pari. Lyon et Bordeaux ont réussi l’aménagement qui vise l’appropriation par d’autres groupes pour éviter les problèmes d’espaces réservés. L’aspect de la pause urbaine, s’asseoir, flâner, le côté récréatif, ludique, lieu d’observation, regarder les autres, se mettre en scène…C’est tout ça l’espace public. Un Skate-park, par exemple doit pouvoir bénéficie de spectateurs. C’est aussi ça l’espace public, participer par sa présence à l’animation. Etre dedans, ni dehors, ni exclu. Avec et à côté, parmi les autres dans un anonymat qui permet l’identité. Plus on va interdire, sécuriser, rationaliser, fonctionnaliser, normaliser ces espaces, plus ils seront occupés par un seul groupe et donc privatisés par leur présence et source de nuisances. Tout espace conçu pour tenir à l’écart certains indésirables tend généralement à être délaissé par d’autres usagers potentiels. On ne lutte pas contre la tendance à l’appropriation, à l’occupation en restreignant l’accès d’un espace public, mais au contraire en l’élargissant. La possibilité de s’asseoir dans un espace public contribue de manière déterminante à son bon fonctionnement parce qu’il garantit une relative diversité de rôles possibles pour les usagers. C’est pourquoi la question du confort, de l’accueil, de la pause est prépondérante sur la qualité de ces espaces.
Aménager l’espace public consiste à agir indissolublement sur les représentations du quartier de ville, sur la gestion des co-présences, sur les modes d’accès à l’espace urbain et sur le statut de l’habiter. C’est peut-être cela la mixité sociale, l’accès à des territoires centraux à l’échelle de la ville et non pas à l’échelle du logement.
Et j’en arrive à mon deuxième point, cette autre idée, au cœur des débats publics, celui de mixité sociale, cet idéal poursuivi par tous. On parle beaucoup de mixité sociale mais je préfère parler de mixité urbaine qui est beaucoup plus globale comme on vient de le voir dans le point précédent.  Cette mixité est vue le plus souvent de façon spatiale, or elle peut être temporelle: l’accès aux équipements, à la culture, à l’éducation, à la santé, à l’échelle de la ville.
La première chose que je constate c’est que la mixité fait l’objet d’un consensus idéologique total. Dans cette représentation, la mixité sociale, serait l’un des enjeux de la ville vitrine, celle où il fait bon vivre, du mélange des populations, des générations, des classes sociales. L’expérience de la diversité souligne également l’ambivalence des rapports sociaux engendrés par la ville. La ville est le lieu du brassage et du mélange et ses espaces publics, comme on vient de le voir, lorsqu’ils sont ouverts à tous et fréquentés par tous, peuvent favoriser l’émergence de compétences favorables à la tolérance et au respect d’autrui. En même temps, les situations de mélange social, dans un quartier, un bâtiment, engendrent souvent l’expérience de la domination ou de la prise de contrôle, d’un espace par un groupe social au détriment d’un autre. Dans certains cas, loin de la tolérance, c’est le ressentiment voire la haine de l’autre qui s’enracine dans les esprits.
Pourtant cette notion n’est définie nulle part, chacun peut lui donner le contenu qu’il désire. Pour certains, il s’agira d’appliquer des quotas dans des immeubles, dans des quartiers ; pour d’autre la mixité, cette fois résidentielle, devra comprendre un certain nombre d’accession à la propriété. La définir comme « la coexistence sur un même espace de groupes sociaux aux caractéristiques diverses » ne suffit pas, car rien n’est dit sur le comment faire cohabiter ou coexister le divers, les riches et les beaucoup moins riches qui ne cherchent qu’à se rassembler dans un entre soi sécuritaire. Cette notion est-elle opérationnelle? Pourquoi est-elle souhaitable? La mixité serait l’idée d’un monde perdu qu’il faut absolument retrouver. L’homogénéité a toujours été recherché, craint à la fois, certes, mais recherché. Les riches veulent rester avec les riches, les très riches avec les très riches, les un peu moins riches avec les un peu moins riches etc…c’est bien l’entre soi qui apparait comme une valeur recherchée, positive et non la mixité. Ceux qui peuvent choisir leur espace n’en veulent pas sauf pour les autres. Tant que la position sociale que l’on occupe n’est pas trop basse, on peut choisir son lieu d’habitation et se protéger des populations les plus précaires. Tout en bas de l’échelle, ceux qui ne décident de rien et surtout pas de lieu d’habitation. C’est difficile alors de faire de la mixité lorsqu’on ne peut mélanger qu’un groupe de population. Sacré gageure.
Mais tous les acteurs urbains défendent cette idée. Tout le monde est pour, peu s’engage pour en contester le bien-fondé, ou dénoncer la surestimation des avantages.
Mais la question reste la même : comment le mélange social, le cosmopolitisme, l’entre soi, tous les entre soi, celui des riches et celui des pauvres, pourraient être vécus de façon apaisée dans nos espaces habités ? Apaisée parce que la pensée commune décrit une ville malade, en guerre, agressive, et dans cette vision dualiste on va opposer systématiquement quartiers, populations, dynamiques urbaines. Selon ce raisonnement, pour régler la question sociale, il suffirait de mieux répartir les populations précaires par des politiques de peuplement bien maitrisées, autrement dit  faire de la mixité sociale. Mais c’est beaucoup plus complexe que cela, et les derniers travaux en ce domaine montrent que si le marché immobilier est la première source de cette division sociale (pour des raisons liées à métropolisation, à la concurrence pour les quartiers centraux qui deviennent inaccessibles aux classes populaires…) il n’opère pas seul et il s’encastre dans des logiques sociales. Un ensemble de recherches récentes, montre très nettement la recherche de liens affinitaires et d’entre soi, dans les quartiers bourgeois, dans les communautés fermées, dans les quartiers gentrifiés ou dans les villages ruraux périurbains. La réalité est ambivalente, comme le souligne Marie-Hélène Bacqué: vivre dans un quartier défavorisé peut aussi constituer une ressource, notamment au travers de l’accès à certaines solidarités, culturelles, géographiques, ou de classe. Se rassembler dans un quartier, c’est se construire un refuge, disposer d’un lieu où les normes dominantes ne dominent plus. C’est aussi disposer d’une base pour se rendre visible et agir. Les quartiers gays ont ainsi joué un rôle dans les mobilisations collectives contre l’homophobie.
Ces constats sont connus depuis longtemps et pourtant les responsables politiques continuent à faire de la mixité sociale un objectif essentiel. Ces derniers regrettent le départ des couches moyennes de l’habitat social et tentent de les faire revenir dans certains quartiers défavorisés pour lutter contre la ségrégation.
Ce qui va me permettre d’aborder mon troisième et dernier point, une nouvelle forme de dynamique urbaine qu’on appelle phénomène de gentrification.
Certains quartiers populaires voient leur population évoluer, notamment dans les centres des grandes villes, relativement peu chers eu égard à leur localisation. Ils attirent des populations nouvelles qui n’ont pas les moyens d’accéder à des quartiers plus bourgeois. Les chercheurs parlent alors de gentrification, terme préférable à celui aussi utilisé d’embourgeoisement car le changement social s’amorce généralement par l’arrivée d’étudiants ou de jeunes ménages diplômées, dont les revenus ne sont pas toujours plus élevés que ceux des habitants déjà installés, mais qui possèdent un capital social et culturel plus important.
Ce terme était encore il n’y a pas si longtemps un terme de chercheur liés à l’urbain. Aujourd’hui il s’est imposé dans le vocabulaire des politiques, des médias et du grand public. La gentrification symbolise la renaissance de vieux quartiers démodés, un peu délaissés, considérés comme « mal famés, vieux, sales » et investis par des groupes sociaux perçus comme nouveaux: yuppies, bobos, hipsters…..qui s’implantent dans les quartiers populaires et les transforment. Et alors ces quartiers deviennent branchés, charmants, vivants et authentiques. Des qualificatifs qui renvoient parfois aux mêmes réalités sociales mais qui en donnent une vision ré enchantée.
Ce changement social est souvent favorisé par des politiques publiques qui voient là un moyen d’améliorer la situation des quartiers populaires, défavorisés, et de lutter contre la ségrégation. Mais attention, si certains y voient le succès de  la mixité sociale, les sociologues sont plus sévères. Travestir la gentrification en mixité sociale est un très bon exemple de la manière dont la réalité du processus s’est effacée au profit d’une rhétorique qui évince toute forme de critique; autrement dit le succès politique et médiatique du mot d’ordre de la mixité sociale, de gentrification contribue à détourner les chercheurs des mécanismes d’éviction des populations les plus fragilisées. La gentrification entraîne l’expulsion de ménages fragiles et modestes vers des banlieues éloignées et met en cause leur accès aux ressources de la ville.
On ne sait pas trop ce qui se passe entre des populations qui se côtoient. En tout cas au début. En effet la gentrification implique toujours, au moins de manière transitoire, une diversification de la population et donc à minima des formes de coexistence entre les habitants aux ressources, aux manières de vivre et aux attentes différentes. Celles-ci sont-elles bénéfiques et à qui ? 2 écoles: certains chercheurs ou élus expliquent  que le côtoiement de classes moyennes et supérieures est bénéfique aux classes populaires, voire qu’il a des vertus socialisatrices. D’autres souligneront au contraire qu’il entraine immanquablement des formes de domination et un renforcement des logiques d’entre soi. Les habitants « déjà là » attendent souvent un changement et une revalorisation de leur cadre de vie. Lorsque ces transformations n’arrivent pas, ils voient là un manque de considération du politique pour des espaces et des populations jugées sans intérêt.  Ils se sentent envahis par ces nouveaux voisins qui font sans cesse des travaux, ces copropriétaires qui votent de coûteuses réfections des bâtiments, ces commerces dont les prix les excluent. Cela génère des tensions parce qu’elles bouleversent les ressources et les habitudes des uns et des autres. Car tout n’est pas simple non plus du côté des gentrificateurs: loin de se sentir toujours dominants ou investis d’une mission socialisatrice, beaucoup découvrent sans y être préparés, le fossé entre leur vision fantasmée du quartier populaire ancien, et la réalité d’un quotidien où dominent les problématiques liées à la pauvreté et à l’immigration.
La question de la scolarisation des enfants devient un moment de confrontation où l’altérité est la plus aigüe et où les blocages sont les plus forts. En découlent des stratégies d’évitement diverses et plus ou moins assumées, voire des départs du quartier. L’enjeu scolaire et périscolaire demeure un enjeu de taille dans les quartiers en gentrification, tant sont fortes les attentes et les normes à l’égard de l’institution scolaire. Le choix de l’école est l’ultime rempart à la diversité. La classe moyenne confère au choix de l’école un caractère prioritaire qui les amène parfois à adopter des comportements en discordance avec leurs convictions politiques. Stratégies d’évitement : la diversité ne serait bénéfique pour leurs enfants que lorsque les populations associées à l’immigration restent minoritaires. Ces familles ont ainsi recours au privé.
L’évolution de la composition sociale traduit une concurrence entre groupes sociaux inégalement dotés pour l’appropriation et la conservation de l’espace local. C’est une question de ressources, pas seulement économiques. Elles sont aussi juridiques (avoir le droit d’être là), langagières (pour faire valoir son droit) ou encore symboliques (prime à l’ancienneté). L’accès à l’information, des conseils, des aides en matière juridique ou pour mener des travaux, un emploi du temps souple et aménageable ou encore des savoirs faire matériels et esthétiques permettant de transformer et de valoriser des biens immobiliers économiquement peu valorisés.
La gentrification peut donc se définir, entre autres, comme un rapport social inégalitaire d’appropriation de l’espace qui se joue à différents niveaux: entre classes sociales, entre générations, entre groupe ethnicisés ou racisés.
Le terme de gentrification doit être mobilisé par les acteurs publics en toute connaissance des processus à l’œuvre et non plus euphémisés par l’emploi des termes « boboïsation » et « bobos » qui tendent à donner une image pittoresque et éludant la violence des rapports sociaux. Cette violence est loin de se réduire aux dimensions économiques et socioculturelles. Elle ne peut être dissociée de la défiance croissante à l’égard du multiculturalisme dans nos sociétés, qui n’aime pas certaines formes de communautarisme, dénoncées chez les plus pauvres, encouragées chez les plus riches. Peut-être que ces regroupements peuvent au contraire constituer pour les classes populaires associées à l’immigration, des ressources pour prendre place dans la société et dans la ville, s’y maintenir et coexister pacifiquement avec d’autres groupes sociaux. Le reconnaitre permettrait de déplacer le curseur de l’injonction à la mixité sociale et aux vertus associées en termes d’émulation sociale et culturelle vers le souci de l’égal accès aux espaces et aux fonctions de la ville.
La ville doit être pensée comme le lieu d’une pluralité d’usages et de
présences, des modes de vie divers et même des entre soi. La gentrification n’est pas un vecteur de mixité sociale, elle ne produit pas de mélange social, de pseudo rencontre culturelle ou de pacification sociale. Il faut cesser d’invoquer la mixité sociale en se contentant de rechercher la juxtaposition de groupes aux profils socioculturels différenciés. Et sans réfléchir aux effets contrastés de cette juxtaposition sur les trajectoires individuelles et sans penser les lieux ou les pratiques concrètes, permettant leur côtoiement.
*- Thierry Morel est sociologue urbain, formateur-chercheur à l’ITSRA de Clermont-Ferrand. Il travaille depuis une douzaine d’années sur les espaces publics et poursuit ses recherches sur les usages et les pratiques de la jeunesse ordinaire. Ses derniers travaux portent sur les pratiques et l’alcoolisation festive des adolescents. Il a participé à de nombreuses consultations sur ces thématiques. Durant ce débat, il abordera la dynamique néo-urbaine des espaces habités, en illustrant, entre autres, avec les nouveaux usages des espaces publics et privés. La gentrification des villes sera mise en parallèle avec le NIMBY (Not In My Back Yard). Architecture préventionnelle et mixité sociale, néo-ruraux et post modernité, accessibilité…feront partie des sujets abordés.
*- L’ŒIL Auvergne : Observatoire Evolutif de l’Immobilier Local. Création, gestion et animation d’un observatoire des marchés immobiliers de la région Auvergne, par la mise en place : d’un outil de gestion de base de données dont les objectifs majeurs sont d’assurer une vision la plus exhaustive possible du marché grâce à la mobilisation et a l’engagement de tous les acteurs ; de co-financer l’outil d’observation entre partenaires privés et partenaires publics ; de créer un lieu d’échange et de débat sur les marches immobiliers et fonciers.

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